Leopold le génie. Leopold le professionnel. Leopold qui arrêtait les méchants pas beaux pour mieux dormir le soir. Etudes de criminologie, flic reconnu.

Oui Leopold était désagréable. Mais il faisait bien son travail. C'était un génie qui ne vivait que pour son boulot. Marié à lui et éventuellement à une certaine Tara. Leopold avait une sœur, aussi, qui, tout comme lui, connaissait l'existence des êtres dits non-humains. Mais qui, contrairement à lui, ne cherchait pas à les ignorer. Il faisait tout pour l'éloigner de ce qu'il appelait "ces conneries". Vous comprenez, elle était tout pour lui. Avec Tara. C'étaient les deux femmes de sa vie. Tout le monde le détestait, trop intelligent, trop franche, sans aucune décence. Mais pas elles. Il avait élevé seul Grace à la mort de leurs parents tués par "ces conneries". Et parfois, il avait, il le reconnaissait, tendance à la surprotéger. Chose qui agaçait la jeune femme si libre et indépendante.

Voilà ce qu'était la vie de Leopold Rimbaud. Trimballé entre l'ennui de sa demeure et l'excitation de son boulot. Avec un cœur ne pouvant battre que pour Grace et Tara. Et un des cerveaux les plus brillants du siècle.

Puis tout s'est cassé la gueule. Et ne lui est resté que ses yeux pour pleurer et une revanche à assouvir.

Do not pity the dead.
Pity the living, and,
Above all those who live without love.
J.K. ROWLING ▼ HARRY POTTER.

"Leopold. Je vais mourir ?
- Putain de Dieu ! Enculé ! Bien sûr que non tu vas pas crever Gracie ! Bordel. T'es ou ?
- Ne sois pas si vulgaire..."
Leopold courrait comme si sa vie en dépendait. Et c'était le cas. Il courut jusqu'à que son sang soit remplacé par de l'acide sulfurique. Et il continua.

"J'y suis presque Grace ! Lâche pas."
Un souffle lui assura qu'elle était encore en vie. Il écartait toutes les branches misérables osant se dresser sur son chemin. Le son de sa course faisait résonner la forêt toute entière dans un bruit assourdissant. Un hurlement se fit entendre. Son cœur manqua un battement. Il poursuit sa route, assuré qu'il était sur la bonne à présent.

Puis du sang. Beaucoup de sang. Un grognement bestial. Une silhouette immense se découpant au travers des feuillages. Il s'approcha sans la moindre trace de peur ni sur son visage, ni à l'intérieur de son être torturé par la course folle qu'il avait entrepris, en vain, il ne voulait pas penser à cela.

Et il tira. Sans aucune hésitation. Enchaînant les balles à mesure qu'il se rapprochait de l'être immonde. L'immense loup le fixa pendant un instant qui parut éternel lorsque son chargeur fut vide. Leopold ne cilla point. Alors, sans demander son reste, la bête disparut pour ne laisser qu'une vision d'horreur au jeune homme. Elle était là, tremblante, souriant à sa vue. Rassurée. Elle ne pleurait pas. Sa peau de neige avait été salie par son propre sang. Mais elle ne pleurait pas. Elle avait été toujours été si courageuse. Son frère se précipita vers elle, tentant de sa mettre sa veste, son écharpe, son manteau, enfin ses mains quand il fut désespéré sur les multiples blessures de son corps.

"Tu n'aurais pas pu me sauver...c'était trop tard.
- IL ÉTAIT TROP TARD, fais attention à ton vocabulaire bon sang. Et...arrête de dire des conneries bordel. Boucle là."
Elle esquissa un autre sourire et passa une main sur les larmes de son frère qu'il tentait de dissimuler.

"Tu. Ne. Peux. Pas. Me...laisser. Tu...n'as pas. Le droit." des sanglots étouffés dans le cou de sa sœur pour seule prière. Il n'était rien. Rien qu'une merde incapable de sauver ceux qu'il aimait. Ah qu'il était beau le génie écoutant une dernière fois les battements du cœur ralenti de sa sœur qui lui caressait délicatement les cheveux comme si tout était normal. Alors que rien n'allait plus. Rien n'irait plus jamais bien.

"Qui." un murmure brisé retentit dans l'oreille de l'agonisante tandis qu'il la berçait sans réfléchir. "Argent..." la voix de sa soeur se perdit dans une douleur silencieuse. Souffrir en silence pour ne pas lui faire plus de mal que nécessaire. Brave Grace. Amazing Grace. Leopold ferma les yeux en gravant le nom dans son esprit. "Tu sais que je t'aime." dit-elle. Il plongea ses yeux bleus dans ceux sa moitié. Elle avait les mêmes que lui. Mais eux avaient toujours brillé d'une vague de chaleur qui enserrait toujours le cœur de Leopold. Il n'avait jamais su acquérir son sourire. Ses iris rieuses. "Tu es la lumière. Tu es ma lumière. Tu es mon autre. Oh Grace..." ses yeux s'étaient fermés. Ceux de Leopold ne s'ouvriraient plus jamais non plus. Coulaient des larmes sur son visage, venaient tremper celui de sa sœur.

Un cri déchira les cieux. Déchira la nuit. Un cri rivalisant avec celui de l'assassin que Leopold tuerait. Dans cette vie. Ou dans l'autre.

***

Des paupières s'ouvrirent sur un plafond sale et craquelé. Leopold poussa un soupir déçu. Toujours le même cauchemar. Il jeta un coup d’œil à son horloge : 1:13. Sa nuit venait de se terminer de la même façon qu'elle le faisait depuis sept ans. Rien n'avait réellement changé depuis cette nuit funeste. Rien ne changerait vraiment. Il tourna la tête sur le côté pour observer son salon. Un flingue posé à côté de son chargeur, une bouteille de vin à moitié vide, un paquet de cigarette.
Et cette foutue solitude.

Tara l'avait quitté depuis longtemps à présent. Elle en avait eu assez de le voir obstiné à se venger. A trouver la louve argentée -il avait amassé nombres d'informations depuis l'incident- qui s'en était pris à sa sœur. Puis il avait foutu le camp de son boulot en prenant le dossier 8528. Il la tenait. Elle agissait la nuit, laissait des traces de blessures sauvages -il n'avait pas mis bien longtemps pour comprendre que cela ne pouvait pas être humain quoi qu'en dise le rapport- et une statuette représentant un loup, en argent. Il la tenait. Et un jour ou l'autre, il la tuerait.

En attendant, il se chargeait de protéger l'humanité demeurée aussi demeurée. Comme avant. Sauf que ses balles arrêtaient des cœurs bien moins humains. Chasseur, quel beau métier de merde. Mais il était doué. Très doué. Son génie n'avait perdu son intensité, en tout cas. Et il soupçonnait son ennemie d'être aussi brillante que lui et d'aimer ce petit jeu autant que lui. Elle l’appelait parfois, le mettant sur des pistes où il pourrait l'entrapercevoir. Rien qu'une ombre. Se cachant à la vue de tout le monde. Bientôt il devrait se rendre à Amytiville. C'est là que le fameux jeu de piste s'achevait. Il avait du interroger un prisonnier pour obtenir cette précieuse information. Il se redressa et chargea son arme de balles argentées. Comme son obsession, déterminée à lui pourrir l'existence.

Ça tombait bien, lui aussi.
S'il se ramassait, elle se ramasserait avec lui.

Les gens disaient que dans cette ville, des choses étranges se produisaient. Récemment une certaine Georgie Sparrow venant gonfler la liste déjà bien grande des mystérieux morts de cette ville. A défaut de trouver son obsession, il s'amuserait comme le chasseur digne de ce nom qu'il était.
Il se leva et tira dans le mur. Bien. Il était temps qu'il sorte, l'ennui commençait à le posséder dangereusement.